Pendant des années, on nous a appris dès l’école et répété dans les médias, que le verdict des urnes était sacré, que les élections étaient la seule méthode démocratique, que l’isoloir était un devoir et que contester les élections était d’une gravité absolue. C’est sur cette base que les mouvements sociaux sont d’ailleurs régulièrement qualifiés « d’anti-démocratique » lorsqu’ils s’opposent à des dirigeants, qui, depuis 20 ans, arrivent d’ailleurs au pouvoir en profitant du vote « barrage ».
Mais cette fois-ci, la bourgeoisie radicalisée n’a aucun problème à mépriser une élection, y compris lorsqu’elles se trouve aux plus haut sommet des instituions. Prenons Gérard Larcher. Il est président du Sénat, et le troisième homme le plus important de l’État. Si le président venait à démissionner par exemple, ce serait Gérard Larcher qui prendrait sa place temporairement.
Cet homme joufflu, présenté comme un honnête conservateur garant des institutions est en fait un trumpiste décomplexé. Voilà ce qu’il déclarait jeudi 11 juillet à la radio : « J’ai plaidé pour que nous prenions du temps, que nous enjambions la période importante où nous accueillons le monde aux Jeux olympiques et qu’ensuite, au début du mois de septembre, soit engagée la phase qui est la conséquence de ces élections ». « Enjamber » les JO : Gérard Larcher ne demande rien de moins que de maintenir un gouvernement battu dans les urnes au pouvoir pendant 2 ou 3 mois. Tranquille.
Le même estime que nommer un premier ministre du Nouveau Front Populaire ne « correspond pas à la volonté profonde des français » et qu’il « combattra ce choix ». Il précise même : « je demanderai que ce gouvernement soit censuré ». Le président du Sénat appellera à destituer un gouvernement sorti des urnes. Enfin, Gérard Larcher dit son souhait d’un gouvernement d’extrême droite. A propos du Rassemblement national, il ajoute : « je ne vois pas au nom de quoi il ne siégerait pas dans les instances ».
Résumons son projet : maintien d’un gouvernement macroniste battu électoralement, destitution de la gauche, pourtant arrivée en tête, et partage du pouvoir avec l’extrême droite arrivée troisième. Voilà la ligne de ceux qui se disent « républicains » et distribuent des brevets de respectabilité politique en France. Même aux USA de Trump, le déni de démocratie n’est pas allé aussi loin.
Gérard Larcher est un professionnel de la politique depuis 1983, soit 40 ans. Sénateur depuis 1986 puis président du Sénat depuis quasiment 15 ans, il est payé 15.735€ par mois dont une partie non imposable. Il dispose d’une voiture de fonction, d’un chauffeur, de cuisiniers gastronomiques personnels, de voyages en train et en avion gratuits, plus une généreuse enveloppe pour rémunérer des assistants. Le 6 décembre dernier, Gérard insultait Mélenchon en s’écriant « ferme ta gueule » avec l’approbation souriante de journalistes. Précédemment, il n’avait pas de mots assez dur contre les mouvements sociaux, estimant qu’il fallait réduire les dépenses sociales. Lors de la révolte du monde agricole en janvier dernier, Gérard allait faire le show derrière un tracteur en déclarant que « hausser le ton » fait « partie du débat démocratique », pour justifier le saccage de préfecture et de bâtiments publics par la FNSEA.
Gérard Larcher n’est pas un illuminé qui vrille dans son coin. Il est sur la ligne des élites françaises.
Bruno Le Maire dans Libération estime : « La rancœur des 11 millions d’électeurs du RN va être énorme. On leur a volé la victoire par des alliances contre nature et des accords entre les partis ». La rancœur des électeurs de gauche, humiliés à chaque scrutin, elle, n’existe même pas dans la tête de Bruno. Il a dit à Macron : « On aurait dû laisser le RN gouverner pendant un temps ». Donc, quand Macron a été élu deux fois grâce aux barrages contre le RN, ce n’était pas « contre-nature » pour Bruno Le Maire, qui trouvait tout à fait légitime de gouverner sans tenir compte des voix venues du vote barrage. Par contre, quand la gauche arrive en tête, alors il faut donner le pouvoir au RN.
Un autre poids lourd du macronisme, Karl Olive, arpente le plateau de Cnews ce vendredi pour donner des gages à l’extrême droite : « il faut écouter les français, les français veulent de la sécurité. Je suis pour les peines planchers. Je suis pour la refonte globale de l’excuse de minorité et la défiscalisation des heures supplémentaires ». Il poursuit : « Je veux bien qu’on dise que ce sont des fachos, mais à un moment donné, quand vous avez plus de 30 % des Français qui votent pour le RN, il faut le prendre en considération ». Traduction : le macronisme n’a aucune intention de parler des 30% de français qui ont placé le Front Populaire en tête à l’Assemblée, ni des préoccupations sociales, mais de sécurité, de police et de cadeaux aux patrons. Logique : le RN est totalement compatible avec sa vision du monde, et avec le programme qui est déjà appliqué.
Une autre ministre macroniste, Rachida Dati, assène : « La majorité des Français ne veut pas du programme du Nouveau Front Populaire ». Si l’on suit sa logique, 80 % des français ne voulaient pas Macron au pouvoir, ni de sa réforme des retraites, qu’il a pourtant imposée. Chiche ? On annule les élections présidentielles de 2002, 2017 et 2022 ?
Un ancien magistrat, Philippe Bilger, s’indigne sur Cnews que « 10 millions de citoyens puissent être exclus du gouvernement de la France ». Encore une fois, on croit rêver. Cela fait 20 ans que des dizaines de millions de français qui votent à gauche sont exclus de toutes décisions. Aux dernières présidentielles, Mélenchon a une nouvelle fois frôlé le second tour, et la gauche était, tous partis confondus, en tête au premier tour. A-t-elle contesté les élections ? Non. Elle aurait sans doute dû.
De son côté, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, un des hauts fonctionnaires les mieux payés de la République, près de 30.000€ par mois, s’inquiète de la revalorisation du salaire minimum à 1.600€ sur France Info. Et le syndicat agricole d’extrême droite la Coordination rurale menace de sortir « les fourches » en cas d’entrée au gouvernement des écologistes ou des insoumis, et a organisé une démonstration de force jeudi 11 juillet à l’occasion du passage du Tour de France dans son fief du Lot-et-Garonne.
Ce qu’il se passe est stupéfiant, mais c’est une leçon pour la suite. La bourgeoisie de droite et d’extrême droite n’a aucun problème à nier les principes « républicains » et « démocratiques » qu’elle utilise d’habitude pour justifier ses privilèges, et à tenir des propos ouvertement factieux depuis ses salons dorés.
La prochaine fois que vous verrez ces gens parler de « bordélisation » pour un discours trop franc ou un drapeau palestinien à l’Assemblée, rappelez vous que les mêmes n’ont aucun scrupule à bafouer leurs propres institutions si c’est dans leur intérêt. Notre camp a été beaucoup trop sage, légaliste et polis depuis des décennies.
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