Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Juillet 1936 et L’apport du Club Esportiu Júpiter aux anarchistes barcelonais
Article mis en ligne le 9 août 2024
dernière modification le 8 août 2024

par siksatnam

Du Poblenou historique, il ne reste plus grand-chose. Ce quartier ouvrier a été transfiguré par la rénovation urbaine. Dans l’ouvrage collectif Barcelona Rebelde, sorti en 2003, Agustín Guillamón revenait sur un pan de l’histoire du quartier et de son club de football : le Club Esportiu Júpiter qui s’est distingué par son appui aux ouvriers anarchistes qui prirent les armes contre le soulèvement militaire lancé par Franco.

Au début du 20e siècle, il n’était pas rare qu’un club de foot naisse sur un coin de table au fond d’un troquet. C’est le cas du Club Esportiu Júpiter fondé le 12 mai 1909 par les frères Mauchan, ouvriers britanniques de l’usine Fabra & Coats au coeur du quartier Poblenou, poumon industriel de la Catalogne. David, un des trois frères Mauchan, jouait auparavant pour El Escosès, le club de la diaspora écossaise. Le CE Júpiter est une équipe où se mélangent des joueurs catalans et britanniques. Si son nom mythologique vient lui du vainqueur d’un de ces concours de montgolfières organisés le dimanche matin sur la plage de la Mar Bella, dès son origine le CE Júpiter s’est développé avec l’identité du quartier qui, comme le rappelle Agustín Guillamón, dans les années 20 et 30 « était un quartier principalement ouvrier et manufacturier, cénétiste et républicain. » La CNT, organisation anarcho-syndicaliste illégale sous la dictature de Primo de Rivera, reste très active dans la clandestinité et Poblenou, parfois surnommé le « Manchester catalan », est un de ses bastions.

Depuis le stade du Júpiter, l’insurrection ouvrière de Poblenou

En 1921, après ses premières années sur le terrain vague du Campo de la Bota, le club qui a de bons résultats acquiert un terrain rue Lope de Vega. Il y fait construire une tribune en bois. Le Júpiter jouit alors d’une grande popularité. Plus largement la pratique du sport prend de l’importance au sein du mouvement ouvrier. Le club possède sa propre école de football et a développé des sections athlétisme et excursionnisme, une pratique ludique de sorties collectives dans la nature, proche de la randonnée. Le club, dont l’écusson représente la Senyera surplombée d’une étoile bleue à cinq branches, est aussi connu pour ses sympathies catalanistes. Ce qui, sous la dictature de Primo de Rivera, est considéré comme un affront au régime. Dès 1924, son écusson est interdit. Le club est alors contraint d’en adopter un nouveau, sans symboles catalans. Ces pressions n’empêchent pas le Júpiter de remporter la saison suivante le championnat catalan de 2e division, en finissant invaincu. Celui de 1ère division revenant au Barça, autre porte-drapeau du catalanisme. Et pour célébrer ces deux titres, le Barça et le Júpiter s’affrontent en hommage à la chorale catalaniste de l’Orfeó Català, le 14 juin 1925 dans un match resté célèbre car l’hymne national espagnol y fut copieusement sifflé, provoquant la suspension des blaugrana de toutes activités durant plusieurs mois.

Les premiers faits d’arme militants du Júpiter remontent à cette période. Un temps, raconte Agustín Guillamón, où « les militants anarchistes profitaient des déplacements de l’équipe pour transporter des pistolets cachés à l’intérieur des ballons qui, à cette époque, étaient constitués d’une chambre à air entourée d’une peau de cuir qui se fermait à l’aide de lacets. Il suffisait de remplacer la chambre à air par le pistolet en pièces détachées. » Peu de témoignages authentiques attestent avec certitude de cette anecdote qui pourrait sembler relever de la légende. Mais vu la proximité du club avec les milieux ouvriers et révolutionnaires, c’est une histoire des plus plausibles. Dans ces années-là, le pistolerisme patronal faisait rage. Cette pratique qui consistait à abattre les meneurs des grèves ouvrières – ce qui arriva au cénetiste Salvador Segui – poussa les anarchistes à s’organiser et à s’armer pour y faire face. C’est ainsi que plusieurs militants créent le groupe armé “Los Solidarios” : Buenaventura Durruti, Juan García Oliver, Antonio Ortiz, Francisco Ascaso, Ricardo Sanz ou encore Aurelio Fernández. Avec leur groupe, alors rebaptisé “Nosotros”, on les retrouvera presque tous à l’animation du Comité de Défense de Poblenou en juillet 1936.

Aux premières loge de l’insurrection, le stade du Júpiter sert alors de point de ralliement et d’arsenal clandestin, pour organiser la riposte ouvrière face aux militaires factieux. Le Comité de Défense avait réquisitionné deux camions d’une usine de textile voisine, garés à côté du stade. Gregorio Jover vivait au numéro 276 de la rue Pujades. Durant toute la nuit du 18 au 19 juillet, son appartement s’était transformé en salle de réunion pour les membres de “Nosotros”, dans l’attente de l’annonce du soulèvement militaire dirigé par Franco. La proximité du stade avec les domiciles de plusieurs membres du groupe “Nosotros”, qui habitaient à quelques centaines de mètres les uns des autres, était pratique pour ne pas alerter les autorités.

L’appartement de Jover était un point stratégique d’où les grilles du stade du Júpiter étaient visibles, ainsi que les deux camions. A 5 heures du matin, la sortie des troupes des casernes fut annoncée. « La tactique ouvrière consistait à les laisser sortir dans la rue sans les harceler, car il serait plus facile de les vaincre loin de leurs casernes. Les rues Lope de Vega, Espronceda, Llull et Pujades qui entouraient le stade du Jupiter étaient pleines de militants anarchistes armés. Une vingtaine d’entre eux, parmi les plus endurcis, rompus à l’affrontement dans la rue, montèrent dans les camions. Antonio Ortiz et Ricardo Sanz installèrent une mitraillette dans le camion qui ouvrit la marche. » raconte Agustín Guillamón. Les sirènes des usines du quartier commencèrent à hurler – signal prévu pour déclencher les combats – puis Hijos del Pueblo et A las barricadas, hymnes de la CNT et de la Fédération Anarchiste Ibérique, à résonner. Après une trentaine d’heures de combats, les militaires et fascistes de la ville furent vaincus.

Des franquistes aux urbanistes : effacer les traces du Poblenou révolutionnaire

Entre 1936 et 1938, le Júpiter participe aux compétitions locales tout en jouant un rôle actif dans la constitution du Comitè Català Pro Esports Populars (CCEP). L’organisation sportive antifasciste, liée à la gauche catalaniste, était derrière l’Olimpiada Popular de Barcelone, censée commencer le 19 juillet 1936, et organisée en opposition aux JO nazis de Berlin. Mais le vent tourne assez vite en défaveur des révolutionnaires. L’avancée des troupes fascistes était inéluctable. Poblenou connaît les bombardements, la faim et la défaite provoquant l’exil d’un grand nombre de ses habitants. Pour les autres, ce sont les exécutions au Campo de la Bota qui les attendent, ou encore la prison d’El Cánem, du nom de cette ancienne usine textile où ont été enfermés plusieurs centaines de républicains. « Pour satisfaire l’insatiable soif de vengeance fasciste, plus de 3000 personnes furent fusillés entre 1939 et 1952, dans leur majorité absolument innocentes, assassinées au nom de Dieu, de Franco et de l’Église. » écrit Agustín Guillamón.

Plus tard, les aménagements urbains réalisés en vue des Jeux Olympiques de 1992 et le plan de rénovation “22@Barcelona”, ont fini par expulser les derniers habitants historiques du quartier. L’urbanisme est aussi une manière pratique d’effacer toute trace du passé ouvrier et subversif de Poblenou. « Hier, le Campo de la Bota fut un misérable quartier fait de baraquements et le lieu d’extermination des rojos. La quartier a été progressivement démantelé et ses derniers habitants, un grand nombre de familles gitanes, furent relégués dans le quartier de La Mina. » poursuit-il.

Après la victoire du fascisme, le Júpiter a perdu une seconde fois son écusson avec l’étoile et les quatre bandes. Le club, accusé d’avoir soutenu financièrement le Secours Rouge, allait être puni par le régime. En 1940, la dictature franquiste a voulu faire du Júpiter une filiale de l’Español Barcelone, et a remplacé le nom du club par Hércules. Puis en 1948, sur ordre du régime, le stade de la rue Lope de Vega a été détruit et le CE Júpiter déplacé dans son actuel stade de La Verneda, très loin de Poblenou, à des années-lumière même.

Yann Dey-Helle