Petit préambule :
Ces dernières années, le développement des réseaux sociaux a fait naitre des générations de militant-e-s « radicaux » sur le net. Ces trentenaires, dotés souvent d’un cursus universitaire, ont confiné leurs délibérations dans un entre soi sectaire ignorant tout ce qui pouvait se passer en dehors de leur petit monde.
Inondant la toile de commentaires fielleux, parfois calomnieux et surtout d’inspiration radical-puriste-intellectualisant, ils sont restés prisonniers d’un imaginaire post romantique dans lequel, hors de leur auguste personne, aucun autre militant n’était digne d’intérêt.
Prisonniers de leurs rêves sectaires, ils n’ont finalement pas fait avancer « la cause sociale » malgré leurs méchants coups de griffes, adressés le plus souvent à d’autres militant-e-s dont le seul tort fut d’être plus âgé qu’eux et donc, « par nature », désespérément réformiste …
Retour sur des évènements à une époque où internet n’existait pas…
De 1976 à 1980, Tours épicentre d’un anarchisme d’action directe ?
Qui l’aurait donc cru ? La ville Ligérienne, réputée pour son calme n’a jamais eu une tradition révolutionnaire très marquée. Terre de francs-maçons, fidèle au radical-socialisme, il a fallu attendre la fin des années soixante-dix pour qu’elle connaisse enfin de grands emballements sociaux du fait, notamment, de la présence d’une jeunesse estudiantine de plus en plus nombreuse et revendicative.
En Indre et Loire, les passions ouvrière se concentraient jusqu’alors, dans sa proche banlieue est, à Saint Pierre des Corps ou bien dans ses périphéries de Joué Les Tours et La Riche,
Et pourtant, de janvier 1976 à juin 1980, la ville tranquille où règne sans partage le très réactionnaire maire, Jean Royer, va être le théâtre d’une agitation « bombardière » due à de jeunes militant-e-s anarchistes.
Qui sont-ils ?
Tous âgés entre 19 et 23 ans, pour la plupart étudiant-e-s, ils vont commettre une série d’actions directes sur Tours et sa périphérie. Les deux groupes se distinguent et, bien que proclamant les même idéaux libertaires, ne se connaissent pas. Notons cependant que leurs méthodologies se rapprochent : ils s’attaquent uniquement à des symboles (véhicules militaires, autobus espagnol, à une époque où la dictature Franquiste sévit encore, églises, panneaux publicitaires, agences intérim, palais de justice, etc). Soulignons qu’il est hors de question de s’en prendre physiquement à qui que ce soit. Ils n’appartiennent pas (ou plus) à des organisations anarchistes officielles.
De même, ils revendiquent leurs actions sous couvert de nom de groupe décalés : le « M.A.L », « C.R.E.V.E S.A.L.O.P. », etc. L’usage de la dynamite, volée çà et là, les relie aussi.
Du 18 janvier 1976 au 26 mai 1980...
Tout commence avec la destruction de trois véhicules militaires à la caserne Meunier. Ces trois premiers « boum » surprennent les autorités. Dans ces années-là, le service militaire est obligatoire et des luttes collectives se mènent autour du statut de l’objection de conscience ou bien de l’insoumission (la vraie celle-ci, celle qui envoie en prison ses auteurs...).
Un mouvement antimilitariste assez vivace existe dans la jeunesse. On y retrouve des catholiques de gauche, des militants pacifistes, de nombreux libertaires.
Le 10 avril suivant, c’est un car de musiciens espagnol qui est détruit à Montbazon. Là aussi, le mouvement anarchiste est en pointe pour combattre la sanglante dictature franquiste de l’autre côté des Pyrénées.
Ces deux attentats sont revendiqués par le M.A.L (Mouvement Anarchiste Libertaire), En fait, un petit regroupement d’ami-e-s, dont plusieurs sœurs et frères : Christian, Michel G, Michel R, Vincent F, Dominique F, Fernand R, Jacques F, Anne Marie F, Anne Marie L.
Les autorités policières ont peu de mal a les « loger » et à les arrêter dans les semaines qui suivent.
Tout cela se solde par un procès pour « destruction de véhicules par incendies et pour vol et détention d’explosifs », Les accusé-e-s écopent de peines allant de trois années de prison dont vingt mois ferme pour la plus dure à d’autres peines se graduant de un an à un mois ferme d’emprisonnement.
Avec aussi une douloureuse de près de 32 000 euros à régler en matière de dédommagements. Le procès, qui se déroula en novembre1976, fit salle comble (notamment du fait que de très nombreux sympathisant-e-s étaient venu-e-s apporter leur soutien).
De ces huit téméraires, on n’a plus entendu parler par la suite...
Et pourtant, quelques années après, l’action directe refait parler d’elle dans la capitale Tourangelle, sous une version anarcho-autonome, dans la mouvance large du groupe « Action Directe ». De janvier 1979 à mai 1980, l’activisme anarchisant à Tours se manifeste donc avec divers moyens allant du pavé à la dynamite.
Agissant sous couvert de noms de groupes « originaux », les actions directes se suivent les unes après les autres : Dès 1978, (en guise de prémices ?) le porche du Lycée Balzac est roussie par le jet d’un cocktail Molotov dans la nuit de Noël. Suivent, en 1979, un mystérieux commando « Opération Ville Propre » qui incendie un grand panneau publicitaire Decaux, dans l’alouette à Tours. Deux autres panneaux subissent le même sort avenue de Grammont.
Dénonçant « la passivité des organisations politiques et syndicales » un « Comité Anti-Boîte Intérimaire », le C.A.B.I, détruit six devantures de bureaux d’intérim sur la ville pour « créer une prise de conscience dans l’opinion. Dans un pays où le chômage prend des proportions révoltantes, il est inacceptable que les agences intérimaires connaissent un tel essor au mépris de tous les acquis des travailleurs ».
En 1980, le C.A.B.I récidive avec l’attaque de huit agences d’intérim. Suivent deux tentatives d’attentats (de nuit) contre l’Université des Tanneurs, avec l’aide d’une bombonne de gaz et revendiqué par le groupe G.D.F (Gens D’en Face). Il s’agissait de protester contre la mort d’un manifestant à Jussieu.
Mais l’apothéose ne tarde pas à venir avec les évènements qui se déroulent du 26 mai au 31 mai 1980 : Le palais de justice est secoué (toujours en pleine nuit) par une charge explosive de 20 kg de dynamite. L’action est revendiquée par le Collectif Révolutionnaire Employés Volontairement Et Souhaitant Avidement L’autonomie Populaire ( C.R.E.V.E S.A.L.O.P). A leur tour, les locaux de la SRPJ de Tours sont victimes d’une tentative d’incendie et deux églises (de constructions récentes) subissent le même sort pour protester contre la venue du pape en France et « l’état bourgeois et ses médias… qui marquent le peuple avec l’arrivée du représentant de ce cadavre puant et malfaisant qu’est l’Église ». Cette fois-ci, la revendication émane des « Jeunes Éléments Anticléricaux Néfastes Pour une Autonomie Universelle et Laïque » (J.E.A. N P.A.U.L)
Là aussi, l’affaire est rapidement bouclée, en juin, par les autorités de police qui ont cru au pire et patrouillaient de nuit en ville, après l’attentat contre le palais de justice, tout feu éteint et mitraillettes à la main...
Patrick A, Jean Marie S, Patrice M, Gille B, Eric S sont arrêtés au fil des jours et écopent de quatre mois à un an de prison, suite à l’amnistie présidentielle décrétée par François Mitterrand. Avec, à la clé, près de 6000 euros à régler au civil pour trois d’entre eux.
Pour l’anecdote, entre diverses exagérations et confusions entretenues par certains enquêteurs, la presse s’emballait en inventant des liens probables avec les Brigades Rouges puisque Gille B avait été arrêté de retour de vacances en Italie !...