L’ancien ministre de l’Intérieur avait déclaré en 2023 vouloir interdire systématiquement les manifestations « d’ultradroite ». Un coup de communication qui s’est vite heurté au droit.
Des allures de défilé des années 1930. Environ 200 militants d’extrême droite ont arpenté les rues de Tours, samedi 9 novembre pour une marche aux flambeaux. A l’appel d’un groupuscule néofasciste local, Des Tours et des Lys, renforcé par des militants d’autres mouvements venus parfois de loin, ils ont déambulé plus d’une heure et demie dans le centre-ville en scandant des slogans identitaires tandis que les forces de l’ordre s’interposaient pour éviter une rencontre avec la contre-manifestation antiraciste.
« Saint Martin revenez, la Touraine est en danger » ou encore « notre fierté c’est notre identité », scandait notamment le cortège, selon France Bleu sur place. Mais, selon des vidéos que Libé a pu consulter, les participants ont aussi entonné le Chant de fidélité, air inspiré d’un hymne de la Waffen-SS et dont une version nationale-catholique est apparue dans les années 80 dans les milieux traditionalistes français. Ses paroles parlent de fidélité au « sang », de lutte contre les « ennemis de la messe » et pour la « France nouvelle »… Au milieu des jeunes hommes à loden et rasés sur les tempes, un certain nombre de manifestants avaient pris soin de masquer leur visage. Tout comme la plupart des membres du service d’ordre encadrant la marche, suivie de près par la police.
« La circulaire [...] ne pourrait avoir légalement pour effet d’interdire »
« J’ai donné comme instruction aux préfets », tonnait pourtant Gérald Darmanin le 9 mai 2023 à l’Assemblée nationale, de prendre « des arrêtés d’interdiction » lorsque « tout militant d’ultradroite ou d’extrême droite ou toute association ou collectif, à Paris comme partout sur le territoire, déposera des manifestations ». Le coup de menton qui faisait suite au tollé politique et médiatique provoqué par un défilé, trois jours plus tôt, de centaines de nervis cagoulés, tout de noir vêtu et drapeaux fascistes au vent dans les rues de Paris.
Dès le lendemain, Beauvau accouchait d’une circulaire envoyée au corps préfectoral et censée matérialiser la consigne. S’ensuivait une volée d’interdictions de manifestations ou même de simples colloques organisés par des groupuscules, mouvements ou autres think tank d’extrême droite. Une fermeté à géométrie variable, cependant, des dizaines d’événements passant au travers des mailles du filet, et bon nombre d’interdictions se voyant cassées par les tribunaux administratifs.
Car cette circulaire intitulée « Interdiction des manifestations et rassemblements de l’ultradroite » allait moins loin que les propos publics du ministre. Comme l’a souligné vendredi 8 novembre le Conseil d’Etat, saisi par le think tank identitaire Iliade, qui en contestait la légalité. « En dépit de l’intitulé de son objet, la circulaire attaquée ne prescrit pas, et ne pourrait avoir légalement pour effet, d’interdire, de manière générale et absolue, tout rassemblement ou manifestation organisé par une personne ou une organisation appartenant au courant politique dit d’ultradroite » pour ce seul motif.
La circulaire se contente ainsi, reprennent les juges du Palais-Royal, de demander aux préfets d’« accorder une attention particulière aux déclarations de manifestations portées par des individus issus de groupes dissous, appelant à la haine contre autrui ou se revendiquant de l’action violente » de la mouvance et « à prendre, par arrêté, les mesures d’interdiction qui s’imposent pour éviter la réitération de tels événements ». Empilant une longue série de conditions sur les organisateurs (sont-ils issus de groupes haineux, violents ou dissous ?), les modalités des cortèges (participants masqués, troubles matériels, etc.) et d’éventuels appels à la violence, « la circulaire concerne les seules manifestations qui présenteraient ces caractéristiques » et se borne à rappeler « le cadre juridique applicable aux interdictions de manifestations ». Les requérants ont donc été déboutés.
Une dizaine de manifestations
Cet arrêté du Conseil d’Etat « valide certes la circulaire de Gérald Darmanin pour ne pas mettre Beauvau dans l’embarras, explique à Libé Olivier Cahn, professeur de droit pénal de l’université de Cergy, mais reconnaît qu’elle est difficilement applicable ». Il ajoute : « Ce qu’on peut lire dans cette décision, c’est surtout un retour à la situation qui précédait, soit l’examen au cas par cas des manifestations. Cette position est bien plus respectueuse des libertés individuelles et elle a surtout l’avantage de cesser d’envoyer des arrêtés d’interdictions mal ficelés se faire casser par les tribunaux administratifs ». « Pour autant, souligne le juriste, le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau peut toujours se servir de cette circulaire, qui reste en vigueur jusqu’à son éventuelle abrogation. »
En parallèle, la mouvance continue son activisme. Ces dernières semaines, Libé a recensé plus d’une dizaine de manifestations d’extrême droite. Rien que le week-end dernier, plusieurs groupuscules de la mouvance ont organisé des rassemblements à Aix-en-Provence, Bordeaux ou Paris. A Castres (Tarn), une centaine de personnes se sont réunies dimanche 10 novembre dans le centre-ville à l’appel du groupuscule local Patria Albiges, notoirement violent, pour dénoncer « l’insécurité » après l’agression d’un jeune homme à la sortie d’un bar de la ville début novembre. Le 30 novembre prochain est aussi prévue une manifestation d’extrême droite à Romans-sur-Isère. Là même où en 2023, après la mort de Thomas Perotto, jeune rugbyman tué lors d’une rixe à Crépol, des dizaines de militants de la mouvance avaient tenté une descente raciste vengeresse contre les habitants du quartier populaire de La Monnaie dont étaient originaires certains des agresseurs présumés du jeune homme.
A ce stade, selon notre décompte, seule une manifestation identitaire à Paris, samedi 2 novembre, a été interdite par la préfecture. Une décision qui a été retoquée par le tribunal administratif. Contacté, le cabinet de Bruno Retailleau assure qu’il n’y a « pas de changement de doctrine » sur ce sujet. « Les manifestations sont interdites lorsqu’il y a risque de trouble à l’ordre public qu’il est impossible de juguler autrement, nous sommes très clairs là-dessus pour toutes les formes d’extrémisme ». Et de préciser : « S’il se déroule dans les manifestations des faits d’appel à la haine ou à la discrimination, des signalements au procureur sont effectués ». Combien ont été effectués à ce stade ? L’Intérieur n’a pas précisé de chiffre.
par Maxime Macé et Pierre Plottu