Jupe ou pantalon ? C’est la question matinale et ordinaire que se posent certaines. Pourtant le 29 avril, plusieurs députés radicaux de gauche ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour abroger l’interdiction, toujours en vigueur, du port du pantalon par les femmes.
Le texte d’interdiction est une ordonnance de police du 26 brumaire an VIII (17 novembre 1799), signée par le préfet de police de Paris qui se déclare « informé que beaucoup de femmes se travestissent, et persuadé qu’aucune d’elles ne quitte les habits de son sexe que pour cause de santé ».
Oui, à cette époque, il faut justifier de raisons médicales et demander une autorisation à la police pour pouvoir enfiler un futal.
Pour Mathilde Dubesset, historienne des femmes, le caractère masculin du pantalon est alors profondément ancré :
« Des Gaulois aux culottes des nobles, en passant par le pantalon des aristocrates, le pantalon est le vêtement masculin.
Au XIXe, avec le mouvement hygiéniste, on créé des bermudas et des culottes pour dames. Auparavant, les femmes ne portaient rien en dessous de leurs robes. »
Quelques pionnières se lancent et les exhibent, seules. Même l’écrivaine George Sand, résolument avant-gardiste, doit se soumettre à la demande d’autorisation, raconte Mathilde Dubesset :
« C’était une femme de grand culot. Mais elle ne voulait pas seulement un pantalon parce qu’il est plus pratique. Elle se faisait carrément passer pour un homme. »
Christine Bard, autre spécialiste de l’histoire des femmes, précise :
« Le pantalon a d’abord été porté par des femmes qui bravaient l’ordonnance ou l’ignoraient : femmes ouvrières, paysannes, mais aussi aventurières, voyageuses, écrivaines, artistes, combattantes, révolutionnaires… »
Au XXe siècle, on desserre la ceinture
En 1892 et 1909, si l’on en croit l’AFP, deux circulaires préfectorales auraient autorisé les femmes à se couvrir les jambes sous certaines conditions : « Si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».
Mais Christine Bard a enquêté sur le pantalon pendant plusieurs mois pour un essai à paraître en août :
« Je n’ai trouvé aucune trace de ces circulaires. Il y avait surtout une interdiction morale. Elle révélait des rapports de force entres les hommes et les femmes dans notre société. »
Quelques années plus tard, Madeleine Pelletier, première femme médecin psychiatre, revêt un costume masculin, raconte Mathilde Dubesset :
« C’était la première féministe radicale : elle rejetait toute forme de féminité. Elle passait même pour folle et moche. »
Dans les années 1970, le pantalon se popularise. Le blue jeans débarque des Etats-Unis. A l’époque, Mathilde Dubesset était au lycée : « Nous étions heureuses, nous nous sentions libres de nos mouvements ! »
Mais à l’Assemblée nationale, les députées ne sont autorisées à venir en pantalon qu’en 1980, date à laquelle Chantal Leblanc a imposé son tailleur-pantalon dans l’hémicyle.
Côté entreprise, le code du travail (article L. 120-2) permet à l’employeur d’imposer la jupe s’il en justifie clairement les raisons. Vendeuses, hôtesses de l’air… de nombreuses femmes se conforment encore à ces règles d’un autre temps pour l’image de marque de leurs employeurs.
Toutes dans l’illégalité ?
Techniquement donc, plus de la moitié des femmes que vous avez croisées dans la rue ce matin sont dans l’illégalité. Bien sûr, les sanctions ne sont plus appliquées, note Christine Bard :
« Il est admis par tous que l’ordonnance est tombée en désuétude et qu’il n’est d’ailleurs plus possible de définir comme au début du XIXe siècle ce que signifie “s’habiller en homme” !
Aujourd’hui, une femme en pantalon, en blouson, avec des chaussures plates, sans maquillage ne sera pas perçue comme “travestie”… »
Qu’attend-on alors pour abroger cette ordonnance illégale ? En 1968, le préfet de police avait refusé de le faire. Plus récemment en 2004, le député UMP Jean-Yves Hugon avait reformulé cette demande auprès de la ministre déléguée à la Parité, Nicole Ameline. Cette dernière lui avait répondu que c’était inutile, « la portée serait purement symbolique » :
« Pour adapter le droit à l’évolution des mœurs, la désuétude est parfois plus efficace que l’intérêt. »
Mathilde Dubesset n’est pas de cet avis : « C’est complètement débile d’avoir encore des lois comme ça en France ! Ce sont des reliques du passé. »
Photo : un jean porté (Sergis blog/Flickr).