Plusieurs messages des insurgé-e-s grec-que-s viennent de nous parvenir depuis hier (Nosotros-Babylonia, Mouvement anti-autoritaire, Mouvement Deplirono, Syntagmas, Radio Entasi Exarcheia...).
Ils expriment un grand merci à vous tou-te-s de votre participation aux manifs de "solidarité avec le peuple grec" (pour la plupart samedi) et/ou de vos nombreux messages de soutien (nous leur avons fait suivre une synthèse des textes et des photos des manifs un peu partout en France).
Ce remerciement, ils l’ont également exprimé dès les manifs d’hier à Athènes et Thessalonique, au moyen de banderoles en français qui nous étaient destinées (ainsi qu’à l’égard d’autres régions du monde). Même Radio-Propagande (France-Info) en a parlé !
La mondialisation des enjeux appelle la convergence des luttes et la violence sourde du pouvoir, la fraternité et la solidarité entre les peuples.
Ne croyez pas ce qu’on vous dit : la révolte ne faiblit pas ! Plusieurs journaux (dont le célèbre Elefterotypia), des hôpitaux, universités et entreprises privées ou publiques sont passées en autogestion. Le principal syndicat de policiers commence à manifester des états d’âme et à entendre certaines doléances des manifestants. Le point de bascule est proche ! Continuons ! "Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux !"
Ci-dessous, une tribune parue aujourd’hui lundi dans Libération (page 23), que j’ai écrite avec Raoul Vaneigem, en contact lui aussi avec les insurgé-e-s Grec-que-s et qui conférencait récemment à Thessalonique (cf. Siné-Mensuel de février 2012, page 14). Cette tribune paraît simultanément en Grèce dans le journal des insurgés : Babylonia (en version grecque, bien sûr), ainsi que dans le périodique L’altermondialiste.
LA GRÈCE, BERCEAU D’UN AUTRE MONDE
Pour un soutien au combat du peuple grec et pour une libération immédiate des manifestants emprisonnés
Non, bien que dramatique, ce qui se déroule en Grèce n’est pas une catastrophe. C’est même une chance. Car le pouvoir de l’argent a, pour la première fois, dépassé allègrement le rythme jusque-là progressif, méticuleux et savamment organisé de la destruction du bien public et de la dignité humaine. Et ce, sur une terre aussi réputée pour sa philosophie de vie aux antipodes du modèle anglo-saxon que pour sa résistance inlassable aux multiples oppressions qui ont tenté de la mettre au pas. Le Grec ne danse pas et ne dansera jamais au pas de l’oie ni en courbant l’échine, quels que soient les régimes qu’on lui impose. Il danse en levant les bras comme pour s’envoler vers les étoiles. Il écrit sur les murs ce qu’il aimerait lire ailleurs. Il brûle une banque quand elle ne lui laisse plus les moyens de faire ses traditionnelles grillades. Le Grec est aussi vivant que l’idéologie qui le menace est mortifère. Et le Grec, même roué de coups, finit toujours par se relever.
Oui, l’Europe de la finance a voulu faire un exemple. Mais dans sa hargne à frapper le pays qui lui semblait le plus faible dans la zone Euro, dans sa violence démesurée, son masque est tombé. C’est maintenant, plus que jamais, le moment de montrer du doigt à tous son vrai visage : celui du totalitarisme. Car il s’agit bien de cela. Et il n’y a qu’une seule réponse au totalitarisme : la lutte, tenace et sans concession, jusqu’au combat s’il le faut, puisque l’existence même est en jeu. Nous avons un monde, une vie, des valeurs à défendre. Partout dans les rues, ce sont nos frères, nos sœurs, nos enfants, nos parents, qui sont frappés sous nos yeux, même éloignés. Nous avons faim, froid, mal avec eux. Tous les coups qui sont portés nous blessent également. Chaque enfant grec qui s’évanouit dans sa cour d’école nous appelle à l’indignation et à la révolte. Pour les Grecs, l’heure est venue de dire non, et pour nous tous de les soutenir.
Car la Grèce est aujourd’hui à la pointe du combat contre le totalitarisme financier qui partout dans le monde détruit le bien public, menace la survie quotidienne, propage le désespoir, la peur et la crétinisation d’une guerre de tous contre tous. Au-delà d’une colère émotionnelle qui se défoule en détruisant des symboles d’oppression se développe une colère lucide, celle de résistants qui refusent de se laisser déposséder de leur propre vie au profit des mafias bancaires et de leur logique de l’argent fou. Avec les assemblées de démocratie directe, la désobéissance civile, le mouvement « Ne payons plus » et les premières expériences d’autogestion, une nouvelle Grèce est en train de naître, qui rejette la tyrannie marchande au nom de l’humain. Nous ignorons combien de temps il faudra pour que les peuples se libèrent de leur servitude volontaire mais il est sûr que, face au ridicule du clientélisme politique, aux démocraties corrompues et au cynisme grotesque de l’Etat bankster, nous n’aurons que le choix – à l’encontre de tout affairisme – de faire nos affaires nous-mêmes.
La Grèce est notre passé. Elle est aussi notre avenir. Réinventons-le avec elle !
En 2012, soyons tous Grecs !
Raoul Vaneigem et Yannis Youlountas