Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

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" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Helen Keller : pour le syndicat, pour la révolution (1916)
Article mis en ligne le 19 juin 2021
dernière modification le 4 juin 2021

par siksatnam

Helen Keller (1880-1968) est une figure marquante de l’histoire américaine : sourde et aveugle, elle réussit à s’affranchir de ses handicaps, fait des études, rédige ses mémoires et son histoire inspire le film « Miracle en Alabama ». Mais ce que l’on sait moins c’est qu’elle prit le parti du gigantesque mouvement d’émancipation animé par une classe ouvrière alors à l’offensive.

Un texte de janvier1916 publié sur le site anglais libcom.org sous le titre « Why I became an IWW », ainsi que l’article intégral paru dans le New York Tribune dont il est tiré, attirent l’attention sur l’engagement d’Hellen Keller. Interrogée dans un des quotidiens les plus influents des États-Unis et par une journaliste visiblement surprise de ce qu’elle entend, Helen Keller affirme son attachement à un courant particulier du socialisme : celui qui puise son inspiration aux sources libertaires, anti-autoritaires et extra-parlementaires du mouvement ouvrier. En Amérique, ce courant s’incarna particulièrement dans une organisation syndicale : les Industrial Workers of the World (IWW).

Fondée en 1905, cette organisation (qui continue d’exister) développe une conception révolutionnaire de l’action syndicale : « d’industrie », opposé au syndicalisme « de métier », corporatiste, que promeut l’American Federation of Labor (AFL) dirigée par Samuel Gompers ; mais aussi d’action directe, avec la grève et le sabotage comme moyens. C’est aussi une organisation qui veut rallier à elle l’ensemble du prolétariat exploité : femmes, noir.e.s, immigrant.e.s… toutes et tous ont leur place au sein des IWW qui veulent bâtir une maison commune, un seul grand syndicat (« One Big Union ») quand l’AFL s’adresse à l’aristocratie ouvrière blanche. Et ce n’est pas qu’une vue de l’esprit : des militantes portent haut et fort les idées de leur syndicat comme Lucy Parsons, Mary « Mother » Jones ou Elizabeth Gurley Flynn, la propagande des IWW se déploit dans plusieurs langues (yiddish, italien, allemand, français...) et en 1912, des 25 000 syndiqués de la Brotherhood of Timber Workers, le Syndicat des Bûcherons des IWW, la moitié sont noirs. Ce qui achève de faire des syndicalistes IWW des cibles de choix pour les forces réactionnaires et racistes.

En 1917, à leur apogée, les IWW syndiquent 100 000 membres, et ont organisé un million de travailleurs et travailleuses (même si certaines analyses relativisent cet âge d’or). S’ils deviennent vite un point de ralliement pour nombres de militant.e.s socialistes ou anarchistes, ils tiennent farouchement à leur indépendance (quitte à provoquer une scission avec les membres du Socialist Labor Party en 1908), à l’instar d’une CGT syndicaliste révolutionnaire en France à la même époque. Les IWW sont porteurs d’un fort idéal d’émancipation. Leur triptyque, « agiter, éduquer, organiser » se décline en autant de publications, bibliothèques militantes (Le Talon de Fer de Jack London y figure en bonne place)… mais aussi chansons : le Little Red Song Book qui compile leurs chants de luttes est mainte fois réédité.

« Rebel Girl », partition d’une chanson composée par Joe Hill pour Elizabeth Gurley Flynn © IWW « Rebel Girl », partition d’une chanson composée par Joe Hill pour Elizabeth Gurley Flynn © IWW
En 1916, dans de nombreux secteurs et États, ils ont été à l’animation de plusieurs grèves massives, souvent longues et dures (comme la grève de Lawrence en 1912 qu’évoque Helen Keller), ont mené des luttes pour la liberté d’expression (Free speech). Ils ont aussi subi la répression, la prison… quand ce ne sont pas les meurtres : en 1914 la garde nationale attaque les mineurs grévistes IWW de Ludlow, tuant 26 d’entre eux ; en 1915, leur plus célèbre chanteur, Joe Hill, est exécuté suite à une cabale judiciaire. Et ce ne sont que deux exemples parmi de trop nombreux autres.

En janvier 1916, cela fait aussi presque deux ans déjà que la guerre fait rage en Europe. Cette guerre, Helen Keller en parle dans son entretien. Elle y voit la possibilité d’un sursaut révolutionnaire possible dans la « bravoure » des combats… et dans l’habitude du maniement des armes par la classe ouvrière. On n’est pas si loin de l’appel à transformer la « guerre impérialiste » en « guerre révolutionnaire » que prônent les militant.e.s ouvrier.e.s resté.e.s fidèles à l’internationalisme. L’année suivante, l’entrée en guerre des États-Unis entraînera une répression accrue des IWW et des minorités révolutionnaires. Ce type de discours sera alors effectivement passible de peines de prison (en 1918, Eugen V. Debs, leader du Socialist Party paie son engagement contre la guerre d’une condamnation à 10 ans de prison et est déchu de ses droits électoraux à vie).

Mais en 1916, Helen Keller, comme d’autres, veut encore croire à l’imminence d’une issue révolutionnaire à la barbarie capitaliste. Issue que seule la grève générale peut aider à trouver (les « bras croisés », les « mains dans les poches » restent les meilleures armes des travailleurs et des travailleuses nous dit-elle). Et « croire » n’est sans doute pas un verbe exagéré tant le discours d’Helen Keller est teinté de messianisme. Elle n’hésite pas à solliciter l’image de Jeanne d’Arc ou la parole biblique pour appuyer son propos. Ce qui peut surprendre… mais en dit long sur le pouvoir d’attraction que représentait alors le mouvement ouvrier, capable de véhiculer une éthique et un horizon révolutionnaire qui pouvait paraître aussi simple et juste qu’exaltant.

L’article du New York Tribune, « Helen Keller would be IWW’s Joan of Arc », n’est pas ici traduit intégralement (et c’est en traducteur amateur qu’il l’a été, il faut en pardonner les maladresses). La version publiée sur le site des IWW et reprise sur libcom.org a fait référence, légèrement augmentée de quelques passages. Titre et intertitres ont été ajoutés.

Pour compléter cette présentation, on peut consulter la synthèse de Larry Portis, IWW, le syndicalisme révolutionnaire aux États-Unis, Spartacus, 2003 (première édition 1986) ; Franklin Rosemont, Joe Hill, éditions CNT-RP, 2008 ; Daniel Guérin, Le mouvement ouvrier aux États-Unis, Maspero, 1976 ; et voir Howard Zinn, Une histoire populaire américaine, première partie : Du pain et des roses, film de Olivier Azam et Daniel Mermet, 1h41, 2015.

Sur Helen Keller, on peut écouter l’émission de radio Là-bas si j’y suis du 26 décembre 2012, « Les vies radicales d’Helen Keller : sourde, aveugle et rebelle ». Ses mémoires sont publiées dans la Petit bibliothèque Payot : Sourde, muette, aveugle. Histoire de ma vie.

T. R.