La coopérative FASINPAT [1] est une usine autogérée de céramique située à Neuquén [2], dans la Patagonie argentine. Récupérée par ses travailleur.ses il y a sept ans, elle compte aujourd’hui 470 associé.es. Le 20 octobre 2008, elle a perdu son statut légal mais continue de lutter pour l’expropriation définitive.
Argentine, 2001. La crise financière provoque la colère d’une classe moyenne qui réclame son fric en détruisant les guichets automatiques des banques. Un peu plus tard, lors des émeutes de décembre, quinze personnes sont tuées par balle. Les patrons qui voient leur horizon de profit s’effondrer ferment des usines souvent viables. C’est le cas de Luis Zanón, qui s’était fait construire une usine de céramique grâce à des subventions publiques au temps béni de la dictature (1976-1983). Il s’en va en laissant quelques 380 ouvrier.es à la rue qui occupent alors l’usine. Ils continuent à produire pour récupérer leurs salaires impayés. En remettant la production en marche, les ouvrier.es se rendent compte qu’ils n’ont besoin ni de patrons ni de cadres grassement payés.
La récupération
Une coopérative est créée avec de nouveaux principes de fonctionnement, comme l’égalité des salaires et la rotation des postes. Une plus grande autonomie qui facilite les prises de décision lors des assemblées générales. Au moment de la récupération, une forte solidarité avec la communauté s’était mise en place. Depuis trois ans, cinq expulsions ont été mises en échec par cette détermination commune. Les 470 personnes de la coopérative prennent en compte des ex-licencié.es, des militante.s et des membres de familles ouvrières. Le 14 septembre, une manifestation des entreprises récupérées et des organisations de chômeur.euses s’est rendue au Parlement pour exiger une loi nationale d’expropriation définitive.
« Notre bataille pour l’expropriation »
Cristián, un ouvrier de la coopérative, est récemment passé de la sélection des céramiques à la commission « presse et diffusion ». Il explique que la coopérative est toujours en lutte et présente l’organisation de l’entreprise.
Comment se présente la situation ?
On nous a parlé de tentatives d’expulsion... Les dernières menaces datent du 8 avril 2003 (1). À partir de cette date, nous n’avions plus de statut et le juge nous a envoyé les flics. Zanón réclamait son usine pendant qu’on demandait de l’aide aux gens.
Les accréditeurs vous réclament le fric que Luis Zanón leur a pris ?
Le directoire de Zanón avait reçu des crédits de l’État et de la Banque Mondiale qu’il n’a jamais remboursés. Il a également acheté des machines à l’entreprise italienne SACMI. Tous nous réclament à présent de payer les dettes de Luis Zanón. On a toujours dit que sa dette il l’a générée lui-même, et donc on ne la paiera pas.
Vous aviez commencé par récupérer le syndicat de l’usine ?
Oui, la récupération du syndicat céramiste au niveau provincial nous a permis d’organiser les luttes en cas de conflit et pas seulement chez nous. Et puis, avec la récupération de l’usine, on a organisé des assemblées pour que les travailleuses et travailleurs puissent prendre les décisions importantes. L’assemblée, c’est l’organe suprême où l’on peut discuter les questions et décider en majorité. On fait également des réunions où chaque secteur est représenté pour décider des questions de pruduction. Chaque mois, on a une journée complète pour décider ensemble de la production et de la politique.
De quelle manière s’effectue la rotation des postes ? Vous organisez des formations ?
L’idée c’est que nous soyons tous responsables. Quand on avait un patron, on était tous derrière les machines. On a dû apprendre petit à petit. Quand un camarade veut changer de secteur, un autre lui montre comment ça marche et ainsi chacun apprend.
Quel sens a le slogan « Zanón est au peuple » ?
Le peuple était à nos côtés quand on a lutté pour la récupération. Pour conserver les postes de travail, la communauté nous a soutenu moralement et matériellement. Une partie de la production est donnée. On a aussi aidé à la construction d’une salle de soins dans un quartier à côté où rien n’était fait pour ces gens. L’hôpital le plus proche est à vingt minutes...
Comment vous envisagez l’avenir proche ?
On croit qu’on va triompher dans notre bataille pour l’expropriation. On dit toujours que la lutte qu’on mène c’est aussi pour ceux qui sont dans des entreprises capitalistes dans le monde entier. Notre lutte doit permettre aux gens de ne pas se résigner face à ce que propose le patronat. Beaucoup de gens viennent nous rendre visite et nous disent qu’on est un exemple pour plein de travailleurs. Et ça nous rappelle qu’on est entourés directement d’entreprises avec des patrons et que quand ils licencieront, on proposera la récupération. C’est un chemin qu’on voudrait montrer à nos enfants.
1 : 5000 personnes étaient venues soutenir les barricades des ouvrières et ouvriers
Quand se prendre en main ne suffit plus
En Argentine, l’Etat tolère deux cas de figure pour les entreprises récupérées. L’expropriation définitive est accordée quand les associé.es acceptent de payer les dettes qu’ils n’ont pas créées. L’expropriation temporaire est une situation conflictuelle. Dans ce cas, la lutte politique se superpose aux difficultés de gestion. À Zanón, un consensus entre les différentes tendances politiques a débouché sur la présentation d’un projet légal d’expropriation (« l’étatisation avec mise sous contrôle ouvrier »). Cela fait sept ans que la coopérative réclame l’expropriation définitive de l’usine. Pour l’instant, elle produit sans licence commerciale et peut être expulsée par simple décision de « justice ».
Pour en savoir plus :
> La liste des entreprises récupérées avec l’effectif, l’activité et la situation juridique (en VO) : http://lavaca.org
> Des articles traduits en français : www.amerikenlutte.free.fr
> De nouveaux documentaires disponibles dans la filmothèque du Centre Culturel Libertaire, au 4 rue de Colmar (permanences les samedi 15h-18h).
Dossier réalisé par L’incohérent
Notes :
[1] Pour « Fabrica sin patrones », l’usine sans patron.
[2] Dans cette ville s’était réalisé en 1996 le premier barrage routier organisé par les chômeurs organisés (les « piqueteros »).