Demain Le Grand Soir
NI DIEU, NI MAITRE, NI CHARLIE !

Le Site de Demain le Grand Soir est issu de l’émission hebdomadaire sur "Radio Béton", qui fut par le passé d’informations et de débats libertaires. L’émission s’étant désormais autonomisée (inféodé à un attelage populiste UCL37 (tendance beaufs-misogynes-virilistes-alcooliques)/gilets jaunes/sociaux-démocrates ) et, malgré la demande des anciens adhérent-es de l’association, a conservé et usurpé le nom DLGS. Heureusement, le site continue son chemin libertaire...

Le site a été attaqué et détruit par des pirates les 29 et 30 septembre 2014 au lendemain de la publication de l’avis de dissolution du groupe fasciste "Vox Populi".

Il renaît ce mardi 27 octobre 2014 de ses cendres.

" En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice, d’inégalité en un mot - qu’elles ont déversé dans les coeurs de nous tous. Nous déclarons la guerre à leur manière d’agir, à leur manière de penser. Le gouverné, le trompé, l’exploité, et ainsi de suite, blessent avant tout nos sentiments d’égalité.
(....)Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu l’auras comprise - une iniquité dans la vie, un mensonge dans la science, ou une souffrance imposée par un autre -, révolte-toi contre l’iniquité, contre le mensonge et l’injustice. Lutte ! La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. "

Piotr Kropotkine -

Avec l’inquiétude croissante de la bourgeoisie locale et des pays voisins, des grandes puissances de ce monde. Le retour à la « normale » se fit, non sans difficultés. Puis, l’avenir radieux de la liberté du marché s’est imposé. Le petit pays a été acheté, coupé en tranches par les seigneurs du capitalisme occidental ; on a bâti des autoroutes, ouvert des supermarchés, installé la modernité partout, couvert les côtes et les campagnes de golfs et de resorts de luxe. Le règne de la marchandise a enivré le peuple qui s’est cru libéré. Cela a duré un certain temps…Ensuite, la nouvelle pauvreté, libre s’entend, a pris la place de l’ancienne et a priée de se cacher derrière les startups, les bars branchés et les quartiers des retraités européens et américains qui ne voient rien, ou ne veulent rien voir. Le pays regorge de soleil, d’affairistes, de belles plages, de spéculateurs immobiliers et touristiques, d’êtres monstrueux qui vivent pour l’argent. La classe politique, qui se dit démocratique, dégoûte le peuple ; les affaires de corruption se succèdent et s’accumulent. Le pays est lumineux mais triste et le malaise s’installe, s’accroît. On continue à émigrer en masse et l’immigration massive remplace ceux qui partent. On fait subir aux immigrés le même sort terrible que les émigrés portugais ont subi en Europe. De temps en temps, on fait voter le peuple. Alors, les symptômes du malaise prennent forme dans le cadre du système, puis s’imposent. Cinquante ans après la révolution des œillets, une formation politique offre une échappatoire aux vieilles rancunes et frustrations, au désarroi du présent, à la confusion des esprits des perdants, des laissés pour compte. 2024 est l’année de la commémoration, officielle bien sûr, des cinquante ans de la dite démocratie. Et c’est alors qu’un parti devient la troisième force électorale, ramassis de personnages sinistres qui revendiquent le suprématisme blanc, la mission civilisatrice et chrétienne du regretté colonialisme, couvrent les actes de terrorisme perpétrés pendant la révolution contre des militants d’extrême-gauche, incitent à la haine raciale. Tout un symbole d’un échec ! La révolution de 1974 avait porté d’autres espoirs, des désirs d’une autre vie, d’une autre société, d’une vie humaine. Nous en sommes loin. Mais ce sont des valeurs qui sont toujours là, pour peu qu’on les cherche, pour le moment enfouis sous l’agitation touristique, brouillées par le bruit des affaires juteuses et l’insignifiance des parvenus et de la vie branchée. La terre de la fraternité, avec des amis à chaque coin de rue, est bien secouée par ces jours de commémorations, mais est toujours là. Il faut juste quitter Lonely Planet et le Guide du Routard et les chercher.

Une publication hebdomadaire de Berlin, Jungle World, posa quelques questions pour chercher à comprendre les dessous cette saga historique agitée et non achevée. J’ai tenté d’y apporter quelques réponses. Que l’on trouve ici, légèrement modifiées.

Pour toi les événements qui ont suivi les révoltes de 1974 sont aujourd’hui mal compris. Qu’est-ce que tu veux dire ?

La version qui réduit de plus en plus la révolution portugaise à ses formes politiques institutionnelles devient, chaque jour qui passe, la version la plus diffusée. On parle de la fin du régime salazariste, de l’instauration d’une démocratie parlementaire qui, avec les autoroutes et les centres commerciaux, serait assimilée à la « Liberté ». Les diverses facettes du mouvement social, commencé avec la révolte d’une minorité de l’armée, sont ignorées. Le caractère minoritaire de la révolte militaire elle-même, l’importance de la participation des soldats, la mutinerie des soldats des unités restées fidèles au régime, tout cela est passé sous silence. La révolution portugaise fut un mouvement massif de désobéissance sociale. La dynamique même de la journée du 25 avril, qui a transformé une révolte militaire dans une insurrection de rue à Lisbonne, avec la participation populaire inattendue et spontanée, est un aspect peu souligné [1]. Ce que s’est passé après le 25 avril n’était pas prévu dans les plans des militaires révoltés. Les possibles élargis furent le fruit de l’intervention populaire. De même, la deuxième intervention militaire, le 25 novembre 1975, qui a mis fin à la période révolutionnaire, signifie la fin des possibles qui étaient considérés impossibles avant le 25 avril. C’est le retour aux possibles « normaux », le retour à une société d’obéissance.

La phrase de Orwell, je crois, est bien connue : l’histoire officielle est écrite par les vainqueurs. Mais il y a une histoire des vaincus. Walter Benjamin lui donna toute son importance. Nous devons, c’est notre tâche si nous nous considérons comme des ennemis de ce monde et de son organisation barbare, nous en approprier. Notre histoire est celle des vaincus. C’est le sens de notre vie de la faire vivre.

Qu’est-ce qui rend les souvenirs omis si inconfortables pour le présent, ou leur occultation a-t-elle eu son moment historique précis ?

Les commémorations ont justement pour fonction de commémorer le retour à la normalité comme le seul dénouement possible. Les commémorations effacent la mémoire des possibles qui ont été vaincus, mais qui ont existé. Je pense que c’est cet élan, ces possibles, vaincus, qui reste vivace dans la mémoire populaire encore aujourd’hui. Ses contours sont dans la chanson de José Afonso, Grandola vila morena. Qui est, pour ainsi dire, le programme poétique de la révolution portugaise et l’affirmation de ses contenus les plus radicaux. On n’y trouvera pas une seule mention au parlementarisme ou à l’Etat démocratique, mais le désir d’une société libre, égalitaire et fraternelle. Et c’est ce contenu qui est toujours chéri par celles et ceux qui ont vécu et soutenu les événements du « Pouvoir populaire », les entreprises occupées et mises en autogestion, les terres occupées et mises en coopérative, les logements expropriés, les nouveaux quartiers construits en collectivité [2]. Qui sait aujourd’hui que, fin 1976 et selon les chiffres officiels, plus de 200 entreprises étaient encore en autogestion ? Qui parle encore de la collectivisation agraire dans la moitié sud du pays ? Qui sait que les soldats commençaient à exiger l’élection de leurs gradés ? Qui insiste dans le fait que la décolonisation fut le fruit de la pression des soldats et du peuple fatigué de la guerre ? Quand on fête le 25 avril, on ne se réfère pas à la politique, aux politiciens, au parlement, qui ont perdu, en 50 ans, tout contenu positif aux yeux du citoyen moyen. Ou, si on s’y réfère, c’est pour exprimer sa frustration en votant pour des ignobles personnages qui revendiquent le passé salazariste et colonial. Quand on dit : « 25 abril sempre ! » (« 25 avril, toujours ! »), expression devenue désormais un « Salut camarade », on ne souhaite pas l’existence d’un parlement ou des politiciens, on affirme le rejet de l’autoritarisme et le désir d’un monde nouveau. C’est notre 25 avril à nous !
Si la Révolution des œillets et les événements qui ont suivi n’ont été ni une transition ’naturelle’ de la dictature fasciste à la démocratie parlementaire, ni une ’transition pacifique de rupture’, qu’a-t-elle été ? La révolution des œillets était-elle une révolution (réussie) ? Si oui, dans quelle mesure ?

Prenons la question par sa fin. La révolution a été réussie pour la classe dirigeante. Qui a réussi à transformer les institutions, à régler (mal) la question coloniale, ouvrir le pays au capital international, et, surtout, à garder le pouvoir et le même système social et économique ! Le pays s’est transformé dans un centre de vacances pour les classes moyennes européennes, le peuple qui travaille a plongé dans une pauvreté différente de celle du passé, mais pauvreté quand même. Le salaire minimum est de 820 € et le coût de la vie explose. Alors « transition naturelle » ou « transition de rupture », je ne pense pas que cela puisse avoir une différence du point de vue de cette réussite. Ceci étant, peut-on parler de « transition naturelle » ? Il fallait passer par la décolonisation et ce passage ne fut pas « naturel », il fut imposé par la révolte populaire et la révolte des soldats. Et dans l’expression « transition de rupture » il y a, me semble-t-il, contradiction. La rupture fut l’intervention populaire et l’affrontement avec la classe bourgeoise, sur la question de la propriété privée avant tout. Mais cette rupture ne cherchait pas la transition, elle cherchait une autre vie, une autre société. Le possible qui paraissait impossible avant et qu’on a rendu impossible après.

Quels étaient les motifs de la désobéissance des soldats professionnels ?

Les seuls soldats professionnels étaient les officiers, ceux du MFA, et ceux fidèles au régime. Comme on le sait, à l’origine le MFA fut une organisation corporatiste de jeunes officiers de métier qui voulaient défendre leur statut face aux officiers issus du rang et promus à la va vite. Car le manque de « vocations » militaires était manifeste ! Déjà un signe de la crise du régime. Les soldats étaient tous issus du contingent et ils en avaient assez de 5 ans de service, les missions en Afrique, les copains morts ou blessés, le dégoût d’un régime corrompu et colonialiste. Il faut comprendre que beaucoup de jeunes ne découvraient la barbarie du colonialisme qu’une fois engagés dans l’armée en Afrique ! L’augmentation des désertions et des réfractaires était connue de tous, beaucoup restaient seulement parce qu’ils ne pouvaient pas partir : raisons de famille et autres… La situation sociale, la pauvreté, les bas salaires, la répression pesaient sur le quotidien. Les grèves et les manifestations se succédaient. Il y avait un malaise social général et les soldats étaient majoritairement issus des classes populaires. Le nationalisme et le patriotisme étaient des valeurs dévalorisées. Un esprit de contestation des hiérarchies et de désobéissance s’étendait parmi la jeunesse.

Quel rôle a joué le Parti communiste portugais dans l’opposition à la dictature ?

Le Parti communiste était, depuis les années 1930, la principale organisation d’opposition au régime, regroupant les militants les plus actifs et généreux. Les organisations anarchistes et syndicalistes révolutionnaires, majoritaires au début du XXe siècle, avaient été détruites ; leur fonctionnement démocratique ne pouvant pas résister à la répression de l’Etat fasciste qui se mit en place après 1926. Il est clair que seule une structure verticale très rigide était en mesure de résister et de se maintenir face à la répression d’un Etat tout aussi autoritaire. Le Parti communiste, lui-même crée en 1921 par des militants anarchistes sympathisants de la révolution russe, prit la relève. Organisation clandestine très structurée, dirigée par une élite de révolutionnaires professionnels formés à l’école de la rigidité stalinienne, le parti traversa les années du fascisme et maintint une image très forte dans la population. Malgré une forte répression, il conserva, tant bien que mal, une presse clandestine et un lien entre ses militants et le peuple. Son intervention se faisait surtout sentir lors des périodes où le régime organisait un simulacre d’électoralisme, lors des manifs de rue et des grèves de plus en plus fréquentes depuis le début des années 1960. Les militants communistes étaient aussi très actifs dans les structures syndicales fascistes, dans lesquelles ils faisaient de l’entrisme… parfois avec un succès vite neutralisé par la police politique. A partir du début des années 1960, les premières dissensions apparurent au sein du Parti communiste. La constitution d’un courant pro-maoïste en dehors du parti, fut la première grande fissure. Les grèves et les mouvements étudiants de la fin des années 1960 furent en partie animés par ce nouveau courant. L’influence des idées de mai 68, critiques du communisme bureaucratique fut aussi importante, à travers les liens avec l’émigration et la grande masse des jeunes exilés en France. Mais ce fut surtout la position timorée du parti sur les actions directes contre l’Etat fasciste, souhaitées par la base, et l’opposition à la guerre coloniale qui ouvrirent une crise plus profonde. Alors que le refus de la guerre ne cessait de grandir dans la société, que les désertions et le refus d’aller dans l’armée prenaient de l’ampleur, le Parti conseillait à ses militants de rester dans l’armée, de faire de la propagande contre la guerre dans son sein, et de ne déserter que collectivement. On voit l’absurdité de telles consignes ! Surtout dès que l’on se trouvait posté dans la brousse, face à la guérilla nationaliste… Une position politique indéfendable. Au moment du 25 Avril, la popularité du Parti communiste était déjà bien entamée chez les jeunes urbains, étudiants et ouvriers. Mais son appareil restait solide et put, tout de suite après le coup militaire, prendre une place dans l’agitation sociale, dans la restructuration de l’Etat et la formation d’un syndicat unique.

La révolution des œillets a eu lieu dans le cadre d’un conflit plus large entre les blocs. Cette dimension a-t-elle réduit le projet révolutionnaire au Portugal, dans quelle mesure ?

Les circonstances historiques du 25 Avril furent celles d’une période tardive de la “guerre froide” où le rapport de forces entre le bloc du capitalisme privé occidental et le capitalisme d’État basculait en faveur du premier. Bien sûr, ce n’était pas clair sur le moment, même si on a vite senti que la bureaucratie soviétique faisait pression pour modérer les positions du Parti communiste portugais et pour peser sur la négociation concernant la fin de la colonisation. Les organisations nationalistes africaines les plus importantes étaient liées à la sphère soviétique et l’enjeu était important en Afrique aussi. Les Etats Unis se montrèrent très rapidement préoccupés par une possible déstabilisation des Etats européens. Dans l’Europe du sud, de la Grèce au Portugal, l’influence des forces communistes pro-Moscou était forte, même si avec des nuances, en Italie en particulier. L’effondrement des dictatures laissait un espace non maîtrisé pour les intérêts occidentaux et l’équilibre des forces. Très vite, l’ambassade américaine joua un rôle dans les luttes politiques au Portugal. L’Allemagne aussi. Le SPD avait des liens très forts avec le Parti socialiste portugais, qui avait été créé et financé par le SPD. Mario Soares fut un homme du SPD tout autant qu’un homme des américains.

Ce qu’il y avait de « projet révolutionnaire » dans la révolution portugaise, correspond à ce qu’on a appelé à l’époque le courant du « Pouvoir populaire », un élan d’organisations de base qui commençaient à se structurer et à poser les jalons d’une réorganisation de la production et de la société par le bas, une forme d’« autogestion ». Ce courant s’est trouvé limité aussi bien par les organisations qui représentaient la logique d’un capitalisme d’État que par celles qui défendaient une « démocratie de marché » à l’occidentale, dont le Parti socialiste était le représentant le plus combatif. Le courant du « Pouvoir populaire » échappait largement aux intérêts des deux blocs, il inquiétait les forces qui les représentaient. Au-delà du conflit entre ces deux courants, il y eut une alliance, implicite, pour bloquer sa dynamique, pour renfermer le champ du possible. Le but premier du 25 novembre fut d’étouffer le courant du « Pouvoir populaire ». Dans la négociation entre les forces politiques et les militaires, le Parti communiste obtint la garantie d’un espace dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire et locale, municipale. A long terme, il signa sa mort lente, comme on peut le constater électoralement aujourd’hui. Le Portugal fut avalé par le grand capitalisme européen et l’espace d’action du Parti communiste, resté figé dans des positions rigides, fut submergé par l’aliénation marchande, nommée « la modernisation » de la société. Ce fut aussi la fin du monde politique du passé.

Que veux-tu dire quand tu dis que la question coloniale a été mal résolue ?

La question coloniale portugaise ne pouvait se terminer que dans les plus mauvaises conditions. C’était trop tard. Le Portugal a été le dernier pays européen à décoloniser, l’élite nationaliste était très faible et les effets d’une guerre coloniale de 13 ans étaient énormes sur les populations africaines.

Même après la révolution, la majorité des militaires putschistes étaient encore à la traîne d’une solution illusoire de néocolonialisme. Le Général Spinola en était le théoricien, si l’on peut dire… Un projet délirant, irréalisable au milieu des années 1970 !

Ce qu’il faut souligner, c’est que, devant toutes ces illusions et hésitations, c’est le pouvoir populaire, la révolte des soldats, au Portugal et en Afrique, qui ont imposé la fin de la guerre et donc, nécessairement une décolonisation à vitesse accélérée. Il s’en est suivi de terribles affrontements et la guerre civile entre les nationalistes, en Angola et au Mozambique. Avec l’intervention des puissances occidentales (l’armée de l’Afrique du Sud) et du bloc de l’Est (le corps expéditionnaire cubain). Le peuple a payé un prix fort jusqu’à aujourd’hui.

Il ne faut pas oublier que, même après le 25 avril, les militaires qui avaient pris le pouvoir d’Etat, ont voulu continuer à envoyer des troupes en Afrique. Il y eut des refus d’embarquer à Lisbonne, des mutineries. Et, en Afrique, des soldats ont posé les armes face aux nationalistes. Ils ont arrêté de se battre. Ils étaient fatigués, ils en avaient assez. Tout cela est très peu connu et passé largement sous le silence.

Quelles en étaient les raisons et quelle est l’importance de la France comme pays d’exil pour les Portugais ?

Je fais partie de la grande vague des jeunes déserteurs et réfractaires des années 1960 qui s’opposèrent à la guerre coloniale, au colonialisme et au régime [3]. Nous avons été plusieurs centaines de milliers, les chiffres exacts ne seront jamais connus car ce sont les services de l’armée portugaise qui les connaissent et ils ne les donneront jamais. Ce fut, sans doute, un des plus grands mouvements de refus d’une guerre dans l’Europe contemporaine. Pour des raisons évidentes, c’est en France que la plupart des exilés se fixaient. Il y avait un tissu d’émigration important, des réseaux, des liens, des solidarités avec les camarades français, dans une société qui sortait elle-même d’une terrible guerre coloniale en Algérie. Il y avait un besoin de main d’œuvre et on pouvait s’intégrer dans le flot de l’émigration dite économique, ne pas se faire repérer tout de suite comme « exilé politique ».

La majorité des exilés s’est rapprochés des organisations françaises qui correspondaient à celles dont ils étaient proches au Portugal. Ce fut surtout le cas des communistes, des socialistes (une poignée dans les milieux universitaires) ou encore des maoïstes, un groupe très important. Puis, avec l’augmentation des départs, de plus en plus de jeunes arrivaient sans filiation idéologique particulière et cherchaient leur voie eux-mêmes. Ce fut aussi mon cas. Après mai 68, l’importance des idées nouvelles d’un communisme non-bureaucratique et libertaire attiraient de plus en plus de monde. Moi, par exemple, je me suis trouvé dans un petit groupe qui publiait à Paris une revue qui défendait des positions marxistes luxemburgistes et anti-autoritaires. Ceux qui évoluaient hors d’un cadre politique furent « formés » en mai 68 dans le temps de quelques semaines. Ce fut passionnant. Et le lien se faisait immédiatement avec l’opposition à la société portugaise. Pour beaucoup d’entre nous, le sort du régime et de sa guerre paraissait désormais dicté par le développement de la subversion en Europe, dans le monde. Nous étions devenus internationalistes et on ne voyait plus le cas portugais comme séparé du sort du reste des sociétés européennes, y compris la libération des sociétés de la zone soviétique. La révolte de Prague en 1968 nous a autant marqué que mai 68. Bien entendu, dans tout ce processus, les recettes stalinistes des cadres du Parti communiste ou même des maoïstes nous intéressaient peu. Les aspects autonomes et indépendants de la révolution portugaise nous parlent tout de suite, comme une continuité de mai 68.

Quelle est la relation des exilés portugais avec le gouvernement actuel ? Y a-t-il eu un moment à partir duquel il y a eu un grand mouvement de retour ou la plupart sont-ils restés définitivement absents ?

Le gouvernement portugais ne s’intéresse pas à cette question. Et pourquoi il s’y intéresserait ? On en parle médiatiquement, de temps en temps, mais sans plus…Dans la société c’est une question encore présente, on sait qu’il y a eu un grand mouvement d’exilés. Une fois de plus, les commémorations officielles sont centrées sur la question de la « transition démocratique ». Revenir sur l’opposition à la guerre coloniale, implique de revenir aussi sur la question de la guerre et inévitablement sur la question coloniale, qui fut l’axe du nationalisme portugais pendant des siècles. Et là, on ouvre la boîte de Pandore.

Pour le reste, c’est l’histoire classique de l’exil. Une majorité d’exilés politiques sont revenus au Portugal après le 25 avril. D’autres ont vécu la révolution portugaise en restant dans la société où ils avaient grandi politiquement. Tout en rétablissant leurs forts liens avec la société portugaise. C’est mon cas. Et ce n’est pas toujours facile car la société portugaise a beaucoup changé… tout en restant en partie la même. Parmi ceux qui sont revenus au Portugal, certains se sont installés dans leurs vies d’auparavant, ont rejoint leur classe et milieux d’origine. Parfois avec difficultés, reniements, refoulements. D’autres, plus ambitieux, furent avalés, intégrés, par la modernisation de la vie politique, sont devenus cadres des nouveaux partis démocratiques de gauche et de droite. Ce n’est pas si étonnant, car ils venaient d’organisations autoritaires qui étaient déjà des mini Etats, ils s’étaient toujours perçus comme des chefs. Ils ont vendu le meilleur d’eux-mêmes pour servir le pouvoir démocratique. Plus honorable, certains se sont fondus dans la vie privée, sont disparus de la vie politique. Mais ont gardé leur dignité. Une poignée est restée fidèle à ses idées et à son parcours et continue à se battre au quotidien, ils écrivent, se positionnent, manifestent, revendiquent leur passé. C’est important, car la question coloniale n’est toujours pas réglée dans la mentalité portugaise, comme on vient de le voir avec l’éruption électorale du parti d’extrême droite, Chega. Une force politique raciste qui défend les bienfaits du colonialisme, honore la barbarie de la guerre coloniale, défend les actes terroristes perpétrés contre des révolutionnaires du 25 avril.

Charles Reeve

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