La formule, assimilant les frontières à des passoires pour le dénoncer n’est pas neuve. Elle est même très classique. Un vrai poncif de la xénophobie ordinaire. Lorsqu’on entend ou lit cette phrase, c’est nécessairement la première idée qui vient en tête. Une idée fausse, au demeurant, mais si effrayante. On n’est plus chez nous. N’importe qui peut venir comme ça. C’est l’invasion. Soit dit en passant, il aurait fallu prévenir les hommes, les femmes, les enfants qui meurent chaque jour en Méditerranée que nos frontières étaient des passoires, qu’ils n’avaient qu’à venir en toute sécurité, que de toutes façons, c’est facile d’entrer dans notre pays, puisque "ils" ont transformé nos frontières en passoire.
Personne, jamais, n’a employé cette formule pour parler d’autre chose, et par exemple d’une frontière devenue une passoire à capitaux, à marchandises, à usines, ou à je ne sais quoi. Ne serait-ce que parce que ça n’aurait aucun sens. Les flux financiers ne passent pas des frontières, avec des gardes frontière et tout le folklore : ils transitent d’un compte à l’autre par un simple clic.
Mais quand c’est un communiste qui dit ça, est-ce que ça dit la même chose ? Et bien en fait, oui. Parce que cette phrase ne servira qu’à attirer l’attention des xénophobes apeurés par le grand remplacement qui vient. Si même les communistes le disent, c’est bien la preuve que les lepénistes ont raison de le dire. Il faut donc voter pour Le Pen. C’est aussi simple que ça. C’est comme ça que ça marche. C’est comme ça que marche l’idéologie. Quand tu dis quelque chose, inutile d’aller expliquer que tu as voulu dire autre chose. Tout le monde a compris.
Peu importent tes intentions. Si tu dis que les frontières sont des passoires, tu renforces l’extrême-droite. Si tu le dis encore, tu la renforces encore. C’est tout. Même si tu n’as pas voulu parler de l’immigration, même si tu expliques que tu voulais parler des capitaux, des marchandises ou des usines, et même si tu t’appelles Fabien Roussel, et même si tu sors d’un congrès où il n’a pas été question de cela une minute.
Laurent Levy