
Dans cette interview (parue dans le journal "Libération" en novembre 2024), le chercheur palestinien Ahmed Fouad Alkhatib explique clairement la catastrophe qu’est le Hamas pour le peuple palestinien.
Loin de la logorrhée abjecte de nos diverses sectes gauchistes ou gauchisantes (NPA, UCL, LFI, etc), ce texte a le mérite de "remettre les pendules à l’heure". Mais, malheureusement, cela ne risque pas de faire évoluer d’un iota les idiots utiles de l’islam politique...
Pour le chercheur à l’Atlantic Council, un think tank basé à Washington, on ne peut pas séparer la nature du gouvernement Nétanyahou et le Hamas. D’où la nécessité pour les Israéliens et les Palestiniens de reprendre le contrôle du discours afin de régler ce conflit en profondeur notamment avec l’aide des diasporas respectives.
« Pourtant, les Palestiniens ont besoin des Israéliens, rien n’avancera sans eux. Il faut déradicaliser Israël et mettre en place les libéraux. »
par Virginie Bloch-Lainé "Libération"
Dans une salle de l’hôtel parisien dans lequel il est logé le temps de son séjour en France, Ahmed Fouad Alkhatib parle très fort. C’est sûrement dû au fait qu’il a perdu l’audition de son oreille gauche, à 11 ans, en 2001, lors d’un bombardement israélien sur Gaza, où il habitait alors avec ses parents.
Aujourd’hui chercheur à l’Atlantic Council, un think tank basé à Washington, ce fils de médecin a dès l’adolescence fait tout ce qui était en son pouvoir pour quitter Gaza, à commencer par apprendre l’anglais et à le maîtriser parfaitement : « Je voulais une vie différente. Je rêvais de sécurité, d’une carrière. Tout ce qu’une existence normale en dehors d’une société déchirée par la guerre pouvait m’offrir », écrit-il dans sa contribution à un ouvrage collectif qui réunit des articles d’Israéliens et de Palestiniens. Intitulé Israël-Palestine, année zéro (1), le livre a été coordonné par David Khalfa, chercheur à la Fondation Jean-Jaurès.
Ahmed Fouad Alkhatib a obtenu à 15 ans une bourse du Département d’Etat américain pour effectuer une année d’échange en Californie : « Il m’a fallu traverser l’Atlantique pour rencontrer pour la première fois de ma vie des Juifs et des Israéliens. » Il a voulu prolonger cette expérience américaine au-delà de l’année prévue, tant il n’avait pas envie de retourner à Gaza. Il y est parvenu.
Devenu citoyen américain en 2014 au nom de l’asile politique, il a créé une organisation à but non lucratif dans le but de réunir des fonds nécessaires à la construction d’un aérodrome à Gaza. L’aérodrome n’a pas vu le jour, mais cette expérience a permis à Ahmed Fouad Alkhatib de tisser des liens au sein du mouvement national palestinien ainsi qu’avec des Israéliens.
Au lendemain de la journée « cauchemardesque » du 7 Octobre, depuis San Francisco où il se trouvait, il fut le témoin « horrifié » des manifestations de joie qui ont éclaté aux Etats-Unis et ailleurs en Occident. Le 13 octobre 2023, une frappe israélienne a détruit sa maison d’enfance. Dans les semaines suivantes, près de trente personnes de sa famille sont mortes sous les bombardements.
Vous écrivez dans Israël-Palestine, année zéro, qu’à 15 ans, à Gaza, vous étiez antisémite, qu’entendiez-vous dire, et que disiez-vous, que pensiez-vous ?
Beaucoup de choses. Tout était mis dans le même paquet : la politique israélienne et les Juifs. D’ailleurs les Palestiniens de Gaza appellent les Israéliens « les Juifs », car l’expérience que les Palestiniens ont d’Israël est le plus souvent négative. Mes amis et moi n’avions aucune idée de ce qu’était réellement Israël, donc nous n’utilisions que des termes négatifs. La diversité d’opinions qui régnait en Israël nous était inconnue.
Il faut se rendre compte que 70 % de la population de Gaza n’a jamais quitté Gaza, ni mis les pieds en Israël ne serait-ce que deux heures. La radicalisation de la population s’explique en partie par cet isolement, et par le blocus. Même si, avant le 7 Octobre, le blocus était en train de s’assouplir, les passages d’un territoire à l’autre étaient très compliqués. Je suis convaincu que tout cela changera quand on s’attaquera à l’ignorance. La haine peut disparaître si les uns et les autres se rencontrent.
Dès le 8 octobre 2023, on a lu et entendu des slogans qui louaient le Hamas et la « résistance » qu’il incarnait. Ces slogans sont apparus sur les campus américains et européens, notamment. En avez-vous été surpris ?
Oui, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu témoigner et écrire cet article publié dans Haaretz. Après le 7 Octobre, j’ai entendu dire : « Vive le Hamas, qui incarne la résistance », par des gens habités par un imaginaire pseudo-romantique de l’opprimé. C’était la preuve que, même si je n’aime pas utiliser ces termes, malheureusement le Hamas a réussi son opération. Israël apparaissait jusque-là comme un pays fort, et l’on a commencé à réaliser qu’il pouvait être battu, que ce n’était pas un pays infaillible. Mais en soutenant le Hamas, on n’aide pas les Palestiniens. On fait même le contraire. Le Hamas incarne le chapitre le plus destructeur de notre histoire. Quand on se range du côté du Hamas, une bonne partie des Israéliens se radicalise et cela se durcit des deux côtés.
Pourquoi n’entend-on pas davantage de voix comme la vôtre parmi les Palestiniens ?
D’abord parce que les Palestiniens se disent qu’ils doivent demeurer unis face à Israël, lorsque Israël assassine des Palestiniens. Au nom de l’unité, ils ne parlent jamais du problème gravissime qu’est le Hamas, le problème de fond. Ensuite, trop de gens pensent que ce qui se passe actuellement en Israël serait arrivé de toute façon. Ils ne voient pas l’enchaînement, l’action et la réaction.
Le 7 Octobre était un choix, et non une nécessité. Ce n’était pas un événement inévitable, ce n’était pas le résultat d’un engrenage. Ces gens-là pensent que le Hamas est une conséquence, un symptôme de l’occupation des Territoires palestiniens et du comportement d’Israël, si bien qu’ils estiment inutile de condamner le Hamas. Alors que pour moi, on ne peut pas séparer la nature du gouvernement actuel en Israël, et le Hamas.
Depuis le 7 Octobre, comment se passent vos discussions avec des Israéliens ?
Là, je rencontre un autre problème : un certain nombre de Palestiniens de la diaspora qui, comme moi, parlent de la paix avec des Israéliens et se lamentent de l’existence du Hamas s’entendent répondre, lorsqu’ils disent tout le mal qu’ils pensent de Nétanyahou : « Ne parlez pas d’Israël en ces termes, soyez des militants de la paix, ce n’est pas le moment de critiquer Nétanyahou », si bien que ces Palestiniens ont le sentiment d’être utilisés par l’opinion publique israélienne.
Quand je parle d’Itamar Ben-Gvir ou de Bezalel Smotrich [respectivement ministre de la Sécurité nationale et ministre des Finances du gouvernement Nétanyahou, tous les deux d’extrême droite, ndlr], quand je fais référence à la conduite criminelle de la guerre à Gaza, ou aux territoires occupés, je rencontre des résistances chez certains Israéliens et chez certains Juifs, comme s’ils espéraient que j’accuse seulement les Palestiniens et que je n’aie aucun grief contre Israël. Or, je veux parler à la fois du Hamas et de Nétanyahou – ce qui ne veut pas dire que je pose une équivalence entre eux, surtout pas. Mais on ne peut pas les séparer l’un de l’autre.
Comment reconstruire une vie politique palestinienne sans le Hamas ?
C’est la question à un million de dollars. Il existe des intellectuels, des fonctionnaires, des universitaires, des leaders de communautés locales qui sont talentueux et qui voudraient donner une chance à la paix. Je connais leurs noms, je les ai rencontrés, mais malheureusement les hommes du Hamas monopolisent la parole et le terrain et prennent en main les jeunes générations. A mon avis, la solution ne peut venir que de la diaspora palestinienne, qui est importante aux Etats-Unis et en Europe.
Nous avons un rôle déterminant à jouer. La diaspora israélienne tient un tel rôle : beaucoup de mouvements progressistes sont nés à l’étranger pour ensuite se développer en Israël. Quand vous vivez en tant que Palestinien sous occupation israélienne, quand vous passez des checkpoints chaque jour, il vous est difficile de penser au lendemain, au renouveau, à la renaissance. C’est pourquoi on a besoin de la diaspora.
Malheureusement je vois que beaucoup de personnes de la diaspora sapent le travail et le discours de paix, soit parce qu’elles deviennent favorables au Hamas, soit parce qu’elles laissent les blancs, les Occidentaux s’approprier les négociations. Elles abandonnent le pouvoir à l’extrême gauche, très présente dans le monde académique et qui n’est constituée ni d’Arabes ni de musulmans.
Cette gauche infiltre des groupes comme Black Lives Matter, ou des associations féministes qui au nom de l’intersectionnalité s’approprient les discussions sur le conflit israélo-palestinien de façon paternaliste. C’est une gauche qui transforme les Palestiniens en victimes et qui étouffe leurs idées.
Comment faire pour que les Palestiniens en diaspora reprennent le contrôle de la situation ?
Malheureusement, c’est difficile de trouver une position équilibrée parce que nous sommes encerclés par une série de dualités insatisfaisantes : il faut choisir entre le Hamas, ou le Fatah, on a soit les territoires occupés, soit Gaza. Il faudrait reprendre le contrôle du discours et construire un ethos pragmatique : Israël en est là, les Palestiniens en sont là, et nous n’allons nulle part ainsi. Comment avancer ? Nous n’allons pas revenir à la situation qui a précédé 1948. Nous n’allons pas appliquer le droit au retour, et aussi longtemps que nous serons irresponsables les uns et les autres, aussi longtemps que certains continueront de dire : « La Palestine, de la rivière à la mer », nous alimenteront la violence.
Comment faire pour se débarrasser de Nétanyahou ?
Ce qui, entre autres choses, me met en colère avec le Hamas est qu’il profite à Nétanyahou. Il le renforce. Ben-Gvir et Smotrich prospèrent grâce au Hamas. Nétanyahou est la figure de proue d’une extrême droite qui lui préexistait. Elle qui va et vient en Israël, selon les époques. C’est elle qui a assassiné Yitzhak Rabin en 1995. Les attentats-suicides et la seconde intifada l’ont alimentée et ont ruiné le processus de paix. Donc le Hamas est une grosse partie du problème actuel, mais ce problème a commencé il y a longtemps.
Pourtant, les Palestiniens ont besoin des Israéliens, rien n’avancera sans eux. Il faut déradicaliser Israël et mettre en place les libéraux. Il faut que les Palestiniens de leur côté disent haut et fort qu’ils sont favorables à la paix, qu’ils ne vont pas aller tirer sur des gens au hasard dans la rue et qu’ils ne célébreront pas joyeusement le 7 Octobre.
Combien d’années faudra-t-il pour en arriver là, selon vous ?
Je suis très pessimiste sur le court terme, mais plus optimiste sur le moyen terme. Je pense que la situation peut commencer à s’éclaircir dans trois ou cinq ans maximum, parce qu’à ce moment-là, de nouveaux leaders palestiniens émergeront, qui auront des visées pragmatiques. En ce moment, la façon dont le Hamas règne sur les esprits et installe une vision noire ou blanche de la situation me fait penser à la propagande qui avait cours en Union soviétique dans les années 90, lorsque l’URSS était sur son lit de mort. A moyen terme, quand bien même le Hamas ne sera pas complètement éliminé, les esprits pourront évoluer.
Vous vivez aux Etats-Unis. D’après vous, qu’est-ce que l’élection de Donald Trump changera ?
Je pense que l’administration Trump ne s’occupera ni des civils palestiniens ni de la situation humanitaire catastrophique. Elle n’en aura rien à faire. Il me semble aussi que Trump déteste Nétanyahou. Il y a des chances pour qu’il exerce sur lui une forte pression afin que la guerre prenne fin avant son investiture, en janvier 2025.
Que pensez-vous de Mike Huckabee, que Donald Trump nommera ambassadeur en Israël ?
Il y a de quoi s’inquiéter. Mike Huckabee est un partisan des colonies, et souhaite permettre à Israël d’officialiser sa souveraineté sur ces territoires occupés. Cette position risque fort d’empêcher la création d’un Etat palestinien et de mettre la région dans un état de guerre permanent. Le projet d’une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie Saoudite sera également mis à mal, alors que cette alliance est nécessaire pour faire face à la menace que l’Iran représente pour la région.
Et Marc Rubio choisi pour être secrétaire d’Etat ?
Ce sénateurde Floride ne représente pas davantage que Mike Huckabee un espoir de voir la diplomatie américaine favoriser la paix au Moyen-Orient, ni permettre la naissance d’un Etat palestinien. Non seulement Marc Rubio n’a aucune légitimité dans le domaine de la politique étrangère, mais en plus il est connu pour être un faucon [un partisan de la guerre, ndlr]. Ces nominations annoncent un futur sombre, qui nuira aux Palestiniens aspirant à la liberté, à l’indépendance, et à la souveraineté.